souvenirs - 2 -

Le premier de l’an

L’ambiance était toute différente.

Si l’on peut parler de couleur, Noël était sombre- la nuit, la cheminée- et le 1er de l’an était blanc. Je ne peux pas dire que c’était la neige, elle était plutôt rare à Roscoff, mais j’ai davantage de souvenir de froidure ensoleillée, de clarté, à commencer par la nappe blanche que maman mettait sur la table. Pour le 1er de l’an, elle achetait une bouteille de rhum Négrita qui ferait le reste de l’an en grogs, en cas de coups de froids, où dans les cakes et quatre-quarts, également une bouteille de cognac, du Cointreau et un vin doux. Dans deux présentoirs sur pied en verre, l’un blanc, l’autre rose étaient disposés les biscuits secs et les gaufrettes. Ces dernières avaient ma préférence et celle de pas mal d’enfants, car en plus de leur fourrage de crème vanillée qui ressemblait à un glacis neigeux, le dessus présentait en relief une petite inscription rigolote ou une devinette. Quel plaisir !

Maman restait à la maison afin de recevoir les visites. Papa et les enfants partaient faire les visites. Nous partions ensemble mais ensuite, papa, Claude et moi ensemble n’avions pas forcément le même cheminement où la durée des visites n’était pas la même et nous nous croisions de nouveau chez d’autres parents.

Les enfants devaient réciter la formule : « Je vous souhaite un bonne et heureuse année, une bonne santé et le paradis à la fin de votre vie » moyennant quoi ils recevaient une petite pièce, mangeaient quelques petits gâteaux secs et même se voyaient quelque fois proposer un petit vin cuit. Je n’en abusais pas mais j’avais une préférence pour le « Mattei Cap Corse »

Nous commencions par les voisins, la vieille Olive Cabioc’h et sa laide soeur au nez en patate, Marie Quéré, Marie Villard, les Cabioc’h, les Prigent, puis on filait vers le passage à niveau, la rue Joseph Bara et arrêt chez tante Soaz et tonton Mazé qui ne manquait jamais de me soulever pour m’embrasser en disant « qu’elle est mignonne la petite bretonne », ce qui me réjouissait grandement ; autant que de pouvoir admirer une théière de porcelaine peinte, en forme d’éléphant qui trônait sur le buffet. De là nous remontions la côte de poul ar foll qui nous menait à penn ar kreac’h. C’était le berceau de la famille, la maison où l’arrière grand père avait vécu, ou le grand père était né, et qui était encore habitée par deux familles de cousins à papa. D’abord du côté gauche, chez Thérèse et ensuite de côté droit chez la tante Françoise et le tonton Joseb. J’aimais bien tonton Joseb, toujours un sourire, sinon de la bouche, du moins au coin de l’oeil, mais sa femme me mettait très mal à l’aise et j’y allais avec appréhension. Une année, j’ai refusé de réciter la formule consacrée et les menaces de ne pas avoir, de gâteaux, de sous, n’y ont rien fait. Même la menace de Claude « ça va être dit à maman » n’a pas entamé ma détermination. Je n’ai pas eu de gâteaux, pas eu de sous, mais je ne lui aie pas souhaité la bonne année.

Après et je crois que c’était la dernière visite, nous allions chez Jeanne et Léon Picard qui était de vieux amis de nos parents et que j’aimais aussi beaucoup.

Ensuite nous rentrions à la maison en comptant notre butin, je ne me rappelle pas ce que j’en faisais, probablement mis dans la tirelire ou utilisés pour acheter des bonbons.

Après cette virée dans le froid la maison nous paraissait bien chaude, il y avait un poulet dans le four ou un rôti de veau dans la cocotte, l’odeur d’un cake au rhum flottait également ; maman recevait ses dernières visites, les voisins ou les hommes de penn ar kreac’h, qui buvaient un petit verre de cognac ou de rhum, c’était le rituel ! Papa rentrait toujours après nous, un sourire fendu jusqu’aux oreilles et maman disait: « setu laouen papa », sans acrimonie, ni inquiétude puisqu’elle savait que son homme ne buvait pas. C’était les seules fois où nous voyions notre père un peu parti.

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